Dissection de l’architecture génétique du mimétisme sexuel chez la drosophile

Responsable du Stage : Amir YASSIN (CR CNRS, HDR)

Co-encadrante : Héloïse BASTIDE (MC Univ. Paris-Saclay)

Tél : 01.69.82.37.54……Fax : … E-mail: yassin@egce.cnrs-gif.fr

UMR9191 – CNRS, IRD, Univ. Paris-Saclay

Résumé du Projet de Stage 

Présentation et description du sujet :
Chez la majorité des espèces à reproduction sexuée, des différences phénotypiques existent entre les sexes. Ces différences, connues sous le nom de dimorphisme sexuel, ont parfois mené à l’évolution dans la nature de caractères parmi les plus extravagants (ex. : la crinière du lion, la queue du paon, les mandibules du lucane cerf-volant, etc.).
L’étude de l’apparition de caractères sexuellement dimorphes constitue un problème fondamental de la biologie, à savoir l’origine génétique de la diversité à partir d’un même génome et son maintien évolutif parmi des individus occupant les mêmes habitats. Malgré des progrès significatifs, les bases génétiques et moléculaires de l’évolution de plusieurs caractères sexuellement dimorphes restent encore mal connues.
Drosophila melanogaster est une espèce modèle pour la génétique. Elle tient son nom d’un dimorphisme de coloration net qui distingue les deux sexes. Chez les mâles, les derniers segments de l’abdomen sont noirs tandis que ces segments sont beaucoup moins foncés chez les femelles. Des études en laboratoire ont permis l’identification de plusieurs facteurs de transcription (ex : doublesex, bric-à-brac, etc.) qui régulent différemment l’expression de plusieurs gènes de synthèse de la mélanine (ex : yellow, ebony, tan, etc.) dans l’abdomen des deux sexes. Le niveau de mélanisme et le degré de dimorphisme sexuel diffèrent entre espèces proches de D. melanogaster mais les mutations responsables et leurs interactions (ex. : dominance, épistasie et pléiotropie) restent à identifier.
Nous avons précédemment étudié un cas de dimorphisme sexuel de coloration qui a évolué de manière
convergente chez plusieurs espèces proches de D. melanogaster. Il s’agit d’un dimorphisme de coloration limité aux femelles (DCLF). Chez ces espèces, les mâles sont monomorphes tandis que les femelles ont deux formes : une forme distincte de celle des mâles (gymnomorphe) et une forme qui ressemble à celles des mâles (andromorphe). Dans tous les cas, le DCLF a une base mendélienne simple avec un seul gène majoritairement responsable de la différence entre les femelles. Chez l’espèce D. erecta, nous avons identifié un élément de moins de 1000 bases (1 kb) qui régule différemment l’expression du gène tan dans l’abdomen des femelles gymnomorphes (claires) et andromorphes (foncées) (Yassin et al. 2016 Nature Communications). Par contre, chez quatre espèces du groupe montium, nous avons identifié un facteur de transcription (Pdm3) comme étant responsable de la différence entre les deux types de femelles (Yassin, Delaney et al. 2016 Current Biology).
L’objectif de ce stage de 6 mois est d’appliquer des outils génétiques (transgenèse) et transcriptomiques (RTPCR) afin de mieux comprendre l’évolution du DCLF chez D. erecta et le groupe montium.

Techniques/méthodes utilisées :
1. Caractérisation par transgenèse de l’élément régulateur du gène tan chez D. erecta L’élément régulateur que nous avons identifié chez D. erecta se situe à 5-kb en amont du gène tan. Plus précisément, il se trouve entre deux gènes, Gr8a et CG15370, distants d’environ 1 kb et qui s’orientent sur le brin complémentaire par rapport à tan. Cet élément comporte presque 70 mutations qui distinguent les allèles clairs des foncés. Ces mutations sont regroupées en 3 clusters d’environ 100 bases chacun. Dans une étude précédente, nous avons cloné la région entière de l’élément de chaque morphe avec un rapporteur d’une protéine fluorescente GFP (Green Fluorescent Protein) sur un plasmide et nous avons injecté la construction chez D. melanogaster. En accord avec le rôle de cet élément dans le DCLF, l’allèle noir exprimait la GFP dans le bout de l’abdomen des mâles et des femelles, tandis que l’allèle clair ne l’exprimait que chez les mâles. Cependant, le rôle de chacun des 3 clusters n’a pas été testé (ex. : interactions additives ou épistatiques). De plus, vu la position assez particulière de l’élément, un effet
régulateur pléiotrope de ces mutations et concernant les gènes Gr8a et CG15370 ne pourrait pas être exclu.
Afin de tester ces hypothèses, nous avons dessiné une construction dans laquelle l’élément régulateur est
entouré d’un rapporteur GFP et d’un rapporteur RFP (Red Fluorescent Protein ou dsRed), orientés queue à queue (tail to- tail) pour tester simultanément les effets régulateurs de chaque région de l’élément. Pendant son stage, l’étudiant(e) générera par PCR complémentaire 8 haplotypes de l’élément régulateur représentant toutes les combinaisons possibles de ces trois clusters de mutations (000, 001, 010, 011, 100, 101, 110 et 111 ; où 0 et 1 indiquent les clusters issus de
l’allèle clair et noir, respectivement). Les 8 haplotypes seront ensuite chacun clonés dans le plasmide Phi-C31 entre les rapporteurs GFP et RFP. Ces plasmides sont ensuite injectés dans la souche BDSC24483 de D. melanogaster. Ils contiennent des sites attB qui permettent d’insérer par intégrase l’haplotype et les rapporteurs dans un site précis présentant des séquences attP. Le génome de cette souche contient des séquences attP (docking site) sur le chromosome 2 et la réussite de l’intégration de la construction dans le génome de la lignée germinale est montrée par le changement de la couleur des yeux. Après l’injection, l’étudiant(e) croisera les mouches émergées et sélectionnera parmi la descendance celles dont la couleur des yeux aura changé. Il/elle établira des lignées homozygotes pour les différents haplotypes et quantifiera l’expression des GFP et RFP sous microscope fluorescent chez des mâles et les femelles de moins de 30 minutes d’émergence ainsi qu’à 4 jours d’âge.
2. Caractérisation de la variabilité transcriptomique des gènes de la pigmentation chez les espèces du groupe montium L’identification du facteur de transcription Pdm3 chez quatre espèces du groupe montium était surprenante car le rôle de ce gène dans la variabilité de la pigmentation n’avait jamais été démontré auparavant chez D. melanogaster. Nous avons cependant remarqué que le niveau de DCLF varie selon la température de développement chez les espèces du groupe montium et que cette variabilité est plus élevée chez les hétérozygotes. Ces observations suggèrent l’existence d’interactions entre allèles (dominance) ou entre gènes (épistasie) pour expliquer ces effets.
Durant les trois premiers mois du stage, l’étudiant(e) isolera 30 mâles et 30 femelles de moins de 30 minutes d’émergence chez les homozygotes et chez les hétérozygotes d’une espèce du groupe montium qui montre le plus grand effet de température. Les mouches seront ainsi conservées à -80°C. Durant les trois derniers mois du stage, l’ARN total des têtes et des abdomens de ces mouches sera extrait chez chaque sexe séparément dans des répliques de 10 mouches.
L’étudiant(e) comparera par RT-PCR l’expression de Pdm3 et de plusieurs gènes de pigmentation (yellow, ebony et tan) parmi les 72 librairies (3 génotypes x 2 tissus x 2 sexes x 3 répliques x 3 températures d’élevage). Ceci permettra
d’identifier les cibles potentielles de la régulation par Pdm3. Le reste des librairies sera envoyé à séquencer chez une plateforme spécialisée pour des analyses transcriptomiques ultérieures.

Apports pédagogiques et résultats attendus :
L’étudiant(e) apprendra les principes de la génétique évolutive en étudiant un cas particulier de mimétisme sexuel. En théorie, le mimétisme sexuel évolue quand un sexe essaye de réduire les coûts de la reproduction (ex. : harcèlement sexuel chez les femelles ou échappement à la détection par un mâle dominant chez les mâles). Ces cas, très étudiés en écologie, sont très peu compris aux niveaux génétique et moléculaire. Les résultats attendus aideront significativement à combler cette lacune. Ils établiront également les bases d’expériences ultérieures mettant en jeu des outils avancés comme CRISPR\Cas9 ou du séquençage de transcriptome appliqués à l’analyse du DCLF chez D. erecta et dans le clade montium. Ces expériences feront l’objet d’une demande de financement de thèse dans la continuité de ce stage.
Le laboratoire EGCE fournira à l’étudiant(e) un environnement intellectuellement riche avec de nombreux chercheurs et enseignants-chercheurs qui travaillent sur différents aspects de la génétique et de la génomique de l’évolution. Le laboratoire dispose d’une grande expertise dans l’élevage et la conservation de différentes espèces et lignées transgéniques de drosophiles, ainsi qu’en microscopie et analyses bioinformatiques pour la biologie moléculaire. Durant son stage, l’étudiant(e) participera aux différents séminaires et manifestations scientifiques de l’Institut Diversité Ecologie et Evolution du Vivant (IDEEV) dont l’EGCE fait partie.

Dernières Publications en lien avec le projet :

1. Yassin A, Bastide H, Chung H, Veuille M, David JR, Pool JE (2016) Ancient balancing selection at tan underlies female colour dimorphism in Drosophila erecta. Nature Communications 7:10400.
2. Yassin A*, Delaney EK*, Reddiex AJ, Seher TD, Bastide H, Appleton NC, Lack JB, David JR, Chenoweth SF, Pool JE, Kopp A (2016) The pdm3 locus is a hotspot for recurrent evolution of female-limited color dimorphism in Drosophila. Current Biology 26:2412-2422. [* co-premier auteur]

Ce projet s’inscrit-il dans la perspective d’une thèse :
oui X

StageM2_EGCE_AY

Laboratoire d’Accueil : Evolution, Génomes, Comportement et Ecologie (EGCE), UMR9191 – CNRS, IRD, Univ. Paris-Saclay

Nom du Responsable de l’Unité : Laure KAISER-ARNAULD (DR CNRS)

UMR9191 – CNRS, IRD, Univ. Paris-Saclay
av. de la Terrasse, 91198 Gif-sur-Yvette Cedex